Les rebelles: Tofara Chokera
Il y a 36 ans, dans une petite ville près de la mine de Murowa au Zimbabwe, naissait une petite fille nommée Tofara. Benjamine de trois enfants, Tofara a grandi auprès d’une maman célibataire. “Elle était enseignante, mais pour arrondir les fins de mois, en rentrant à la maison, elle cousait et rapiéçait des vêtements, et fabriquait des caramels au citron pour aller les vendre, ainsi que les légumes qu’elle cultivait dans le jardin », se souvient Tofara.
La mère de Tofara a pu mettre assez d’argent de côté pour permettre à sa sœur et à son frère aîné de partir en internat. Hélas, quand vint le tour de Tofara, sa maman avait déjà épuisé le budget dévolu à l’éducation de ses trois enfants. « J’étais inscrite dans une autre école primaire. J’y allais à pieds : une heure de marche aller-retour, tous les jours. Mais ma mère m’avait toujours appris à voir le bon côté de chose ; à rester positive. Alors j’ai tenu bon. À l’époque, au Zimbabwe, la plupart des filles se mariaient, c’était les garçons qui travaillaient. Mais ma mère m’a toujours encouragée à devenir indépendante financièrement. J’ai travaillé dur pour y arriver”.
Tofara voulait être la première de sa famille à décrocher un diplôme. Un rêve devenu rapidement réalité une fois admise à la Midlands State University, à Gweru, en études d’informatique et de systèmes d’information. Elle avait 20 ans. Bizarrement, Tofara n’avait encore jamais touché un ordinateur. « J’ai été ravie et étonnée de voir ma première “ souris ”, qui m’a effectivement fait penser à une vraie souris. À partir de là, dès que j’accédais à un ordinateur, j’emmagasinais un maximum de connaissances techniques. Avec le temps, en progressant dans ma maîtrise de l’outil, un monde d’opportunités s’est ouvert à moi. »
Un stage, juste après l’obtention de son diplôme, lui a permis de trouver un poste d’informaticienne dans l’industrie du diamant. En 2008, Tofara a rejoint RZM Murowa. « Y décrocher un emploi était déjà un immense pas en avant, en soi. De joie, j’ai appelé ma mère, pour la féliciter, elle ! » Au bout de 12 ans carrière, Tofara, désormais cadre, se passionne pour son métier d’ingénieure informatique.
Au-delà de ses fonctions chez RZM Murowa, forte de son parcours professionnel, Tofara se consacre aussi bénévolement à l’enseignement de compétences informatiques. Son public cible : les filles, afin de les préparer au monde du travail d’aujourd’hui et de demain. En collaboration avec la plateforme IBM Digital Nation Africa, l’ingénieure a créé et autofinancé edigitalskillsacademy.com, un agrégateur de ressources d’apprentissage numérique dans les domaines de l’IdO, de l’intelligence artificielle, du codage et de la conception numérique.
Son académie en ligne a déjà aidé des milliers de femmes au Zimbabwe. En août dernier, 22 d’entre elles se sont vu décerner le prix de l’innovation aux IBM Digital Nation Africa Award, dans le cadre d’un projet chapeauté par le chapitre zimbabwéen de l’Organisation des Femmes Scientifiques du Monde en Développement, que Tofara avait initié.
« Je souhaite toucher les communautés qui ne maîtrisent pas du tout l’outil informatique, leur offrir, gratuitement, des compétences numériques qui leur seront toujours utiles, qu’elles soient en mesure de poursuivre ou non des études supérieures »
Depuis la crise du COVID-19, Tofara a développé et partagé des initiatives sur WhatsApp, pour inciter encore plus de filles à se familiariser avec les nouvelles technologie, grâce à leurs smartphones. « Je souhaite toucher les communautés qui ne maîtrisent pas du tout l’outil informatique, leur offrir, gratuitement, des compétences numériques qui leur seront toujours utiles, qu’elles soient en mesure de poursuivre ou non des études supérieures », souligne Tofara. Dans le passé, quand on était jeune, on devait payer des milliers de dollars pour ce genre de cours en école privée et c’est quelque chose qu’on ne devrait plus avoir à faire ».
Chez RZM Murowa, Tofara encadre les stagiaires, hommes et femmes, qui rejoignent son équipe de techniciens informatiques chaque année. « Je salue cette opportunité que nous offrons à ces jeunes et je suis fière que Murowa garantisse l’égalité des chances à l’emploi. A mon arrivée, j’étais la seule femme de tout le service. Aujourd’hui, je suis entourée de collègues féminines. Même notre chef est une femme. »
Le conseil de Tofara à toutes celles qui rêvent d’aller à l’université et de faire carrière ? « Rester ouverte à la nouveauté ». Comme elle, qui s’est lancée dans l’informatique, à l’âge de vingt ans, par exemple. Tofara estime devoir beaucoup à sa mère. « Elle m’a appris à croire que je pouvais tout accomplir. Que mon passé ne déterminait pas mon avenir. Ma passion, c’est de transmettre ce message et de faire bouger les choses au sein de ma communauté. »